Né le 15 octobre 1912 à Figeac (Lot) dans une famille de médecins. Dans son enfance, le grand-père aliéniste, Maxime Dubuisson, " tient une place éminente dans le cortège des modèles identificatoires, il ne cessait de prononcer l'éloge de la folie et notre demeure était un musée où était rassemblée l'œuvre de la folie " : " Je me dois d'attester que si je suis ce que je suis, c'est pour beaucoup à l'œuvre des fous et des folles que je le dois. Mes jouets d'enfant étaient surtout cadeaux de leur part [...] C'est probablement à cette heure que j'ai appris à ne pas traiter les productions des fous dont ma vie a été jonchée comme objets de regard pathologiste. " Études au collège Champolion à Figeac puis études de médecine à Toulouse où il rencontre la " mouvance surréaliste " qui marquera sa vie tant professionnelle que politique. Compagnon de route du PCF, responsable de l'Union fédérale des étudiants et animateur d'un ciné-club, il adhère à la Jeunesse communiste en octobre 1934 après avoir été condamné pour opposition à une manifestation fasciste. 1936 voit l'achèvement de ses études de médecine et le début de son activité professionnelle en psychiatrie (il intègre les Hôpitaux psychiatriques de la Seine en 1938). Pendant la guerre d'Espagne, il milite à la Centrale sanitaire internationale. Mobilisé en 1939, il fait la guerre comme infirmier de 2e classe après avoir été cassé de son rang d'élève officier au motif d'avoir, avec Jean Marcenac, " empêché l'audition d'un discours du président du Conseil ". Après 1940, il participe aux premières rencontres de médecins communistes chez Marcel Pénin à Cachan au cours desquelles fut envisagée, notamment avec le docteur Maurice Ténine, la poursuite du combat antifasciste. Membre de la direction nationale du Front national des médecins en 1941, il participe, en 1942, au premier essai de service médical au cours d'une opération de résistance. Fin 1942, il est promu chef de service. En 1943, il est médecin-directeur de l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban en Lozère. Il y poursuit son activité de résistant. Parallèlement, il anime la Société du Gévaudan qui veut définir le travail de critique radicale et d'invention des institutions d'aliénés, fait par l'équipe de l'hôpital de Saint-Alban, à laquelle se joint Georges Canguilhem. En 1942, il accueille dans cet hôpital Paul Éluard et multiplie les rencontres pour le développement de la résistance intellectuelle. Il est parmi les premiers diffuseurs de Poésie et vérité 1942 d'Éluard et contribue à l'importante activité d'éditions clandestines menée par celui-ci, avec la " Bibliothèque française " créée avec les frères Matarasso, chez Amarger, imprimeur à Saint-Flour. C'est à Saint-Alban qu'un certain Forestier est interné depuis 1914. Ses liens avec Dubuffet feront de son œuvre un moment fort l'art brut. Forestier est familier à Lucien Bonnafé puisque " parmi les dessins fascinant peuplant le regard de l'enfance, il y avait l'autoportrait aux crayons de couleurs de Forestier le 20 juin 1914 et divers dessins de lui, où dominaient des têtes couronnées de mystérieux couvre-chef ornementés... ". Quand il quitte Saint-Alban pour la vie clandestine, Lucien Bonnafé choisit comme " nom de guerre " Sylvain Forestier. Cette rencontre avec l'œuvre de la folie lui fera dire : " Qui se voue à une tâche nommée désaliéniste [...] est voué à s'animer sur un champ de réflexion exceptionnellement révélateur : le fou producteur d'œuvre et ses témoins ". En 1944, membre du service médical du maquis lors de la bataille du Mont Mouchet, il est promu en juin président à Lyon du Comité national des médecins français (Front national zone sud) et participe aux combats de la Libération. Après la guerre, Lucien Bonnafé ne cesse de militer et de dénoncer la mort des 40 000 malades mentaux, victimes de l'extermination " douce " sous l'Occupation parmi lesquels Séraphine de Senlis et Sylvain Fusco. Conseiller technique au ministère de la santé dirigé par François Billoux en 1945, il organise les " Journées psychiatriques nationales " pour promouvoir la notion de désaliénisme et de pratique désenclavée. Il consacre alors sa longue carrière psychiatrique à la recherche d'un désaliénisme théorique et pratique. En mars 1946 est présentée à l'hôpital Saint-Anne une grande " exposition d'œuvres exécutées par des malades mentaux ". Accompagné de Robert Doisneau, Lucien Bonnafé publie une page polémique dans Action, hebdomadaire issu de la Résistance. Lucien Bonnafé y signe son premier papier de presse sur " art et folie " (" Des hommes comme vous ") : " Il y avait un grand remue-ménage des idées et des actes en France d'après Libération [...] Il soufflait un grand vent de protestation contre l'inhumanité du sort fait à la folie dans nos sociétés ". Bonnafé reprend son activité de praticien en 1947 et se consacre à l'organisation de la " psychiatrie de secteur ". Pour travailler à nouveau sur le terrain, il choisit un établissement en ruine, Sotteville-les-Rouen. Il y reste de 1947 à 1958. Il a choisi un lieu où tout est à reconstruire, l'hôpital est détruit à 75 %. Le mur qui sépare le quartier des femmes de celui des hommes est cassé, il ne sera jamais reconstruit. Il transforme les cellules en bureaux et, en 1951 (" pour donner du sens à une structure orientée vers l'aide aux sujets humains en difficulté, l'usage de la parole écrite était à cultiver "), il a recours au journal mural : " Au mur sur une planche étaient épinglés des textes ". Lucien Bonnafé a gardé les traces de ce passé (un recueil de pages de ce journal mural a été édité par l'Atelier du Coin de Montceau-les-Mines). Il continue ensuite sa carrière à Paris et en région parisienne où il prend sa retraite en 1973 après avoir fondé " Les Mozards ", secteur de psychiatrie à Corbeil-Essonnes. La désaliénation dans les systèmes de santé mentale est, à ses yeux, la nécessaire résistance aux conduites de partition, d'exclusion, de discrimination et de ségrégation, résistance à laquelle il a consacré sa vie. Privilégiant les problèmes de l'enfance, il est l'auteur de nombreux travaux de recherche sur le cadre de vie, la formation et la déformation des mentalités (notamment en participant au travail animé par Henri Lefebvre dans le Groupe de Navarrenx). Son activité politique proprement dite n'est pas séparable de sa démarche professionnelle et elle est dominée par la question des libertés et, selon ses propres termes, " la résistance aux perversions cléricales du mouvement révolutionnaire ". Il anime, en 1975, un débat à la Fête de L'Humanité pour dénoncer les usages répressifs de la psychiatrie dans les pays dits " socialistes " et persiste, toujours selon ses propres termes, " dans une position de résistance, dans le PCF, aux obligations et interdictions de penser (par exemple à l'égard de la psychanalyse) et aux insuffisances de critiques sur le "marxisme de chapitres de chanoines" et le "militantisme de sérail" ". Lucien Bonnafé n'a pas cessé de relier ses engagements psychiatriques théoriques et pratiques avec un intérêt pour la linguistique et les pratiques artistiques, la poésie, le combat politique, de la Résistance aux interrogations sur la citoyenneté. Une vie de résistance et d'invention. Lucien Bonnafé est décédé le 16 mars 2003.